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Peter De Keyzer: « Les banques et les assureurs vont contribuer à déterminer vers la durabilité. »

Peter De Keyzer, économiste et partenaire fondateur de l’agence de communication Growth Inc., est connu pour son franc-parler sur des sujets tels que la crise énergétique, le marché du travail dans notre pays et la lutte contre l’inflation. L’interlocuteur tout désigné donc pour parler de la période mouvementée que nous traversons. Et il voit un …

Peter De Keyzer, économiste et partenaire fondateur de l’agence de communication Growth Inc., est connu pour son franc-parler sur des sujets tels que la crise énergétique, le marché du travail dans notre pays et la lutte contre l’inflation. L’interlocuteur tout désigné donc pour parler de la période mouvementée que nous traversons. Et il voit un rôle important pour les banques et les assureurs dans l’évolution vers plus de durabilité.

La période que nous vivons doit être merveilleusement excitante pour un économiste, non ?

Peter De Keyzer : Assurément. Nous sommes en effet en présence de très nombreux phénomènes en même temps : prix, marchés, psychologie, institutions internationales, gouvernements, taux de change, … et interactions entre tout cela. Et il y a à cet égard beaucoup à faire ces jours-ci.

Quel est le risque que ce que vous dites aujourd’hui en tant qu’économiste soit dépassé demain ?

Peter De Keyzer : Ce risque existe, c’est vrai, mais j’évite autant que possible les prédictions trop audacieuses sur la psychologie des gens. Ça aide (rires). On dit et écrit beaucoup de choses aujourd’hui sur les prix de l’énergie. Mais il faudrait plutôt parler de l’offre et de la demande d’énergie. Et si vous vous concentrez sur ça, ce que vous raconterez tiendra sans problème.

INFLATION, POUVOIR D’ACHAT ET MARCHÉ DU TRAVAIL

Commençons par l’inflation. On peut lire pratiquement tous les jours des articles indiquant que l’inflation atteint de nouveaux records. Est-ce que cela va s’arrêter un jour ?

Peter De Keyzer : Bien sûr. Nous avons déjà connu des pics d’inflation par le passé, il y a certes longtemps, qui ont été suivis d’une baisse et cela sera encore le cas cette fois-ci. Il faudra juste être patient.

Pourquoi ?

Peter De Keyzer : Parce que tout ce que nous faisons, produisons, vendons, mangeons, … comporte une composante énergétique. Et comme les prix de l’énergie ont fortement augmenté, tout est plus cher. À cela s’ajoute encore qu’en Belgique, nous avons le principe de l’indexation automatique des salaires, qui signifie que les salaires dans notre pays sont augmenté de plus de 10%. Et les entreprises vont bien évidemment essayer de répercuter ces coûts auprès de leurs clients, ce qui rend le problème encore plus important pour la Belgique que pour les autres pays.

Dois-je comprendre que vous n’êtes pas vraiment partisan de l’indexation automatique des salaires ?

Peter De Keyzer : Ça dépend de ce que vous voulez atteindre exactement. Si votre objectif prioritaire est de protéger le pouvoir d’achat des gens à court terme, l’indexation automatique des salaires est alors une bonne solution. Mais si les pays voisins ne suivent pas, comme c’est le cas maintenant, la Belgique aura un sérieux handicap salarial à terme…

Que pensez-vous de la stratégie des banques centrales pour lutter contre l’inflation ?

Peter De Keyzer : La banque centrale américaine a opté dès le début pour une approche relativement agressive, indiquant clairement que cela allait être douloureux et prendre un certain temps. Cela a conduit à plusieurs hausses des taux et nous ne sommes pas encore à la fin. C’est une bien meilleure attitude, je trouve, que celle de la Banque centrale européenne (BCE) qui a longtemps hésité et est très prudente. Les services statistiques de la BCE se sont totalement trompés dans leurs prévisions, ce qui compromet la crédibilité de la BCE en matière d’inflation. Et c’est un gros problème. Une inflation élevée est douloureuse, mais des attentes d’inflation élevées sont juste une catastrophe.

C’est à dire ?

Peter De Keyzer : Si nous pouvons tous supposer que l’inflation sera de 2% jusqu’à la fin des temps, alors les syndicats et les entreprises pourront trouver un terrain d’entente pour négocier les salaires. Les entreprises pourront alors être modérées dans la fixation de leurs prix, et les émetteurs d’obligations pourront se satisfaire d’un taux de 3%. Mais si tout à coup, tout le monde s’attend à ce que l’inflation atteigne 5, 8 ou même 10%, les revendications salariales, les prix et les taux d’intérêt à long terme exploseront. Vous aurez alors une période de grande incertitude, de diminution des investissements et de la création d’emplois, des turbulences financières, … Des anticipations d’inflation stables sont une très bonne chose et nous devons les défendre. La BCE n’aura donc pas d’autre choix que de relever encore les taux plus rapidement et de les maintenir plus longtemps, ce qui devrait effectivement conduire à une récession. Mais c’est un prix limité à payer par rapport au coût d’anticipations d’inflation élevées.

On peut supposer que vos détracteurs vont vous reprocher de laisser ainsi certaines personnes sur le carreau à court terme.

Peter De Keyzer : C’est vrai aussi. À court terme, ça va faire mal. On pourrait comparer ça à une épaule luxée : vous pouvez la « remettre » provisoirement, mais ça ne résout rien fondamentalement. Il est bien plus judicieux d’opter directement pour un remède qui vous permettra de récupérer toute la mobilité de votre épaule à long terme, même si cela signifie que vous devrez supporter un peu plus de douleur à court terme.

MARCHÉ DU TRAVAIL TENDU

Beaucoup de sociétés ont du mal à trouver du personnel. Et pourtant, la Belgique ne manque pas d’inactifs. Qu’en pensez-vous ?

Peter De Keyzer : Tous les emplois vacants qui ne sont pas pourvus aujourd’hui représentent une richesse qui n’est pas réalisée. Cela représente des dizaines de milliards en salaires et impôts que nous n’investissons pas et dont nous ne pouvons donc rien faire.

« La Belgique est le seul pays au monde où les allocations de chômage sont illimitées dans le temps, et il n’y a pas non plus d’autre pays où il y a si peu de personnes actives, ce qui nous prive d’une énorme quantité de richesses. »

Comment expliquez-vous la difficulté à pourvoir les emplois vacants ?

Peter De Keyzer : Parce que c’est simplement trop facile d’être et de rester inactif. Regardez combien de personnes sont au chômage de longue durée ou en incapacité de travail, le nombre de personnes en préretraite, … Et cette inactivité n’est presque jamais sanctionnée. Il y a aussi trop peu de manières de faire entrer les personnes inactives sur le marché du travail. Alors que le credo devrait être justement l’inverse : tout le monde est capable de travailler, à moins de prouver le contraire.

La Belgique est le seul pays au monde où les allocations de chômage sont illimitées dans le temps, et il n’y a pas non plus d’autre pays où il y a si peu de personnes actives, ce qui nous prive d’une énorme quantité de richesses. Mais la limitation des allocations de chômage dans le temps est un sujet tabou auquel les responsables politiques n’osent pas toucher…

CRISE ÉNERGÉTIQUE

Que pensez-vous de l’approche de la crise énergétique par les différents gouvernements de notre pays ?

Peter De Keyzer : Comme je l’ai déjà dit, c’est avant tout une question d’offre et de demande et pas tellement de prix. La demande est trop forte alors que l’offre est trop faible. C’est aussi simple que cela. L’Europe ne dispose pratiquement pas de combustibles fossiles, ce qui nous oblige à chercher d’autres sources d’énergie. Mais cela prend beaucoup de temps. On ne construit pas une nouvelle centrale nucléaire en quelques mois comme le voudraient les gouvernements. Il faut donc faire en sorte que la demande diminue et de ce point de vue là, il y a moyen de faire encore beaucoup plus. Il faut vraiment sensibiliser plus. Les gens doivent faire en sorte de consommer moins d’énergie, sans attendre que les autorités compensent la hausse des coûts. Diminuer la température à l’intérieur, prendre des douches plus courtes, … même aller plus au café et se réunir à plusieurs est une bonne idée.

Que pensez-vous des compensations prévues ?

Peter De Keyzer : Ce n’est pas assez pour vraiment changer les choses et cela concerne un trop grand groupe de personnes. Il serait plus logique d’aider surtout ceux qui en ont le plus besoin. Mais globalement, ce serait encore plus judicieux d’investir dans des solutions d’énergie durables, comme l’isolation et les panneaux solaires, que dans des mesures pour diminuer la douleur à court terme. Parce que les cinq milliards d’euros dépensés jusqu’à présent à titre de compensation vont être redirigés vers les fournisseurs de gaz américains, russes et qataris. En quoi cela nous aidet-il à long terme ?

Quel rôle voyez-vous pour les banques et les assureurs ?

Peter De Keyzer :

Un rôle très important. Regardez, le loyer des maisons qui affichent un mauvais PEB ne peuvent plus être indexés. Si les banques reçoivent une demande de prêt pour l’achat d’un tel logement en tant qu’immeuble de rapport, elles n’accorderont qu’un montant de prêt plus faible dans le temps que pour les logements affichant un bon PEB. Les assureurs refuseront de leur côté d’assurer les risques non durables. Et ce qui n’est pas assurable n’est par définition pas non plus vendable. C’est comme ça que je vois les grands acteurs de la finance et des assurances déterminer en partie le sens de la marche.

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